Quatrains

Clash d’un moderne antique

Ego trip en claquant la porte des forums littéraires. I De numériques ostracons Sont lapidés mes pseudonymes. Être hué par des chicons Et des prévôts pusillanimes Montre que l’air contemporain Donne du souffle aux médiocres ! Lorsque, unanimement serin, Piaille un peuple de piocres, Idoine est d’étouffer le droit De vote et la démocrassie, Tant dérisoire est ce que croit...

Canicule

L’âme se cherche un véhicule. Il n’y a plus d’art dans l’éther. Le ciel que peint la canicule Est un monochrome sans chair. Écran d’humeur vitrioleuse, L’horizon bout comme un alcool Vacant, sans vape fabuleuse Propice au poétique envol. Comment s’ailer d’ivres images Privé de l’inspiration Qu’épanouissent les nuages Toujours en...

Le Sauvage

Puisque je ne suis plus que la griffe d’un nerf, Bas ressort animal qu’un rien crispe à tout fendre ; Puisque je me hérisse aux ruses d’un mot tendre, Et qu’un soupçon de miel me change en fauve amer, Je vous épargnerai les grognes de mon flair, Que jamais n’ont floué les sucres du mensonge. Mon cœur a le dégoût d’ouïr l’ombre qui ronge, Et mon âme a le...

Mes vers fuiraient… (Victor Hugo)

Mes vers fuiraient, doux et frêles,
Vers votre jardin si beau,
Si mes vers avaient des ailes,
Des ailes comme l’oiseau.

Ils voleraient, étincelles,
Vers votre foyer qui rit,
Si mes vers avaient des ailes,
Des ailes comme l’esprit.

Près de vous, purs et fidèles,
Ils accourraient nuit et jour,
Si mes vers avaient des ailes,
Des ailes comme l’amour.

Victor Hugo, Les Contemplations, 1856.

Gourmandise

Fort d’une faim inhumaine, Écœurant même les dieux, Et d’un énorme domaine, Plus qu’un éden, giboyeux, Un ogre aux mille fourchettes Invitait dans son palais D’effrénés valseurs d’assiettes À de gloutonneux ballets. Signe noir de ces soirées Orgiaques, maints fourneaux Engorgeaient d’humeurs poivrées Et de charbons infernaux Une cheminée altière Recrachant sur...

Avarice

Disséquons l’homme en tourmente, À la dépense rétif, Qui sans fin dans l’ombre augmente Un trésor spéculatif. Sa main rêche de squelette Est un noueux artefact N’éprouvant plus douce fête Qu’être avec l’or en contact. C’est la seule des matières Qui lui réchauffe le cœur ; Et les précieuses pierres Parent son œil de vigueur. Ne lui causez pas des charmes...

Dimanches d’hiver

Ah ! Qu’ils sont mornes et redoutés ces dimanches Où mon angoisse fait son nid, Et couve cramponnée aux deux noueuses branches Que sont la tristesse et l’ennui. Les frimas ont réduit en mortes silhouettes Le chêne, l’orme et le sureau Qui, lugubrement nus, exhibent leurs squelettes Glorifiant l’hiver bourreau. À mon œil que pénètre un ton de sépulture, Où qu’il se...

Triptyque Thérapeutique

EMPOISONNEMENT Qu’on me dote d’un cœur que nul abus imprime Pour combattre le dard planté par l’ombre en mon Trésor de chair ; frustrer la pointe du démon, Comme un vil clou se heurte au diamant sublime. Dénué d’un éclat conjurateur, je bois Sans remords à me rendre, absent du moindre spasme, Plus lisse, plus égal, plus effacé qu’un phasme N’ayant plus...

Nos Vestiges

Te souvient-il de ces beaux jours ? Nous écoutions les ritournelles D’oiseaux qui chantaient : « Vos amours Sont éternelles ! » Rappelle-toi, c’était juillet, Quand nous vivions du même songe, Quand notre lit ne s’ennuyait D’aucun mensonge. À peine éclos d’un rêve exquis, Baignés de lunaire légende, Nos corps flottaient, comme alanguis De lait d’amande. Bien...

Le Gourdin et le Fleuret

Voici que le gourdin primitif et grossier Invite le fleuret à quelques passes d’armes, Trop fruste pour saisir que ce profil princier N’est en rien comparable à sa lourdeur sans charmes. L’adversaire n’étant qu’un drôle roturier Assuré qu’une bûche assomme d’éloquence ; Qui, montrant tout d’un nœud de lignage ordurier, Ignore de son bois la...

Le Flétrisseur

Je fus charnellement doué d’un feu maudit ; Je suis l’Élu brillant d’une lumière noire. Chaque fois que j’éclaire une fleur elle dit : « Comment s’épanouir sous ton amère moire ? » Le grand Lys me dédaigne et la Rose me fuit, Et jamais je ne peux à leurs calices boire Ce philtre qui serait un remède à la nuit Que diffuse à regret ma chair expiatoire. Je ne suis...

De la moralité des volcans

La nuit frémit, les cœurs sont secoués : un gouffre Commence d’agiter ses graves profondeurs, Et des fronts cotonneux adeptes de tiédeurs Va fondre le confort la bouche où bout le soufre. La pensée impuissante y voit l’art de l’Enfer ! Ni les fièvres du feu, ni les ardeurs du fer, Quoiqu’elles peignent un martyre, N’attisent contre nous de monstrueux griefs, Ni ne...

Révélation

J’avais chu dans l’encens des fausses aphrodites ; Et toi, bu tout le vin des apollons trompeurs. N’ayant reçu du ciel que des amours maudites, Chacun n’habitait plus qu’un temple de torpeurs. Ton cœur était figé comme un œillet dans l’ambre ; La porte de ton nid, fermée à double tour. Pour toi, nature en gel, c’était toujours décembre, Mois...

Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs (Arthur Rimbaud)

à Monsieur Théodore de Banville I Ainsi, toujours, vers l’azur noir Où tremble la mer des topazes, Fonctionneront dans ton soir Les Lys, ces clystères d’extases ! À notre époque de sagous, Quand les Plantes sont travailleuses, Le Lys boira les bleus dégoûts Dans tes Proses religieuses ! — Le lys de monsieur de Kerdrel, Le Sonnet de mil huit cent trente, Le Lys qu’on donne au Ménestrel...

Amour céleste

Lui qui dessille en dieu vermeil Toute paupière d’horizon, Œil en perpétuel éveil Dont chaque cil est un tison, Jamais il n’a paru si fier, Car, aujourd’hui, c’est le grand jour ! De caresser d’ambre et d’or clair Le globe-monde au bleu pourtour. Aïeule aux rêves d’ingénue, Nocturne soie aux charmes sages, Laiteux miroir dans l’ombre nue Et phare...

Pour un divorce

I J’aurais cru sans mal pouvoir mépriser Ton corps sec venu rougir à mes lèvres, Tant m’ennuagea ton brûlant baiser De sinistres fièvres. C’était sans compter le goût pour la mort Dont m’enorgueillit ce fumeux vertige, Comme un pur flambeur consumant le sort Se sent du prestige. « Pourquoi m’interdire un signe viril ? » Me gonflais-je, à l’âge où bout...

Arachnophilie

Lilith ! fais mon bonheur, hais-moi d’un cœur cinglant ! Mais ne m’inflige point ta vierge indifférence. Abats sur moi le fouet du vœu le plus sanglant : Que ta faim soit ma fin, et ta fièvre ma transe ! Je n’ai de pulsion maîtresse qu’assouvir Ta volonté de me soumettre dans la soie À l’instinct venimeux conçu pour me ravir ! Plaise au feu dévorant...

Vers d’un torchecul

Certains ont des vers au cul, d’autres à la bouche… Cette escarmouche poétique Porte des pointes féminines : Dûment botter l’honneur étique Se fait à coups de ballerines ! Je viens défroquer les faux prêtres Dont la langue abonde en ouate, Car c’est le stigmate des traîtres De ne s’exprimer qu’à voix moite. Leur coule tant de miel des lèvres Qu’ils...

La fin des hostilités

Tout est calme à présent. Le Mal n’a plus de feu. Le cœur dort sans remous ; l’œil fixe une eau profonde ; L’âme libre, déjà colombe, vagabonde Et remet son destin au pur infini bleu. Soulagé que ton poids s’efface en douceur d’aile Et que l’ombre se taise après d’affreux crachats, Ô Chair, dont la chaleur fuyante ouvre aux rachats, Je songe aux seuls...

Les petites vieilles (Charles Baudelaire)

À Victor Hugo I Dans les plis sinueux des vieilles capitales, Où tout, même l’horreur, tourne aux enchantements, Je guette, obéissant à mes humeurs fatales Des êtres singuliers, décrépits et charmants. Ces monstres disloqués furent jadis des femmes, Éponine ou Laïs ! Monstres brisés, bossus Ou tordus, aimons-les ! ce sont encor des âmes. Sous des jupons troués et sous de froids tissus Ils...

Archives

;)