Triptyque Thérapeutique

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EMPOISONNEMENT

Qu’on me dote d’un cœur que nul abus imprime
Pour combattre le dard planté par l’ombre en mon
Trésor de chair ; frustrer la pointe du démon,
Comme un vil clou se heurte au diamant sublime.

Dénué d’un éclat conjurateur, je bois
Sans remords à me rendre, absent du moindre spasme,
Plus lisse, plus égal, plus effacé qu’un phasme
N’ayant plus d’autre but qu’être un morceau de bois.

Pourquoi produire encor mes larmes et ma bile
Si, mortifère aveu, je manque d’un mobile
Assez puissant pour craindre un sort végétatif ?

Affranchi de tout nerf incessamment plaintif,
Qu’aille loin mon esprit, très loin, hors de portée
Du crime que revit ma candeur avortée.



CAUCHEMAR

Un couloir infini m’aspire ; des oiseaux
Épileptiques aux becs d’or percent mon crâne ;
Le silence, rompu, ne l’est que par mes os
Dont d’infimes fragments, comme un cristal profane,

Tintent le marbre qui par trilles violets
Propage les aigus d’une douleur infâme,
Et enchante d’effroi les voûtes d’un palais
Où s’accouplent les peurs maîtresses de mon drame.

Traumas, sudations, gémissements, raideurs,
Affectent tous les creux de cette architecture
Incestueuse, et se dédoublent des laideurs
Dont chacune de l’autre est la progéniture…

Suis-je, en narcisse noir, quand au miroir se font
Lucides les péchés de nos métempsychoses,
Devant l’affreux portait de mon reflet profond,
Trouvant sous un rictus cent couches de névroses ?


Le sol s’ouvre ; je crie, et descends sept à sept
Les degrés vaporeux d’une échelle fantôme,
Quand la tête sans tronc, sanglante, de Bastet
Me blâme de sa mort d’une voix monochrome :

« Ainsi m’as-tu livrée aux stoïques bourreaux
Qui peuplent le donjon de ton cerveau, dédale
Où baignent dans l’encens des rites sépulcraux
Maints soleils menacés d’exhalaison létale ;

« Où dans tes geôles se fait tordre par des nœuds
De glu triste, et qu’étrangle un rouage à voix rauque,
L’adorable totem implorant que haineux
Soit ton fou châtiment plutôt que morne et glauque. »

Les vertiges d’angoisse atteignent leur climax ;
Je chute infiniment et sur l’amour m’écrase ;
La culpabilité submerge mon thorax ;
Je convulse, je pleure et rends toute ma vase.

Bipède humilié de membres sans ressorts,
Créature à l’orgueil horizontal, je rampe,
Invertébré par la douleur et le remords,
Vers l’extase qu’agite un pur lambeau de lampe :

Tel un martyr, aveugle aux pourpres de ses chairs,
Suit béat du divin le nimbe tutélaire,
Je m’accroche à l’espoir que diffuse à travers
Ma vue ensanglantée un brouillon de lumière.

Soupir parmi l’enfer, m’arrive une fraîcheur,
Comme si promettait quelque oasis de menthe
Son baume au grand brûlé fuyant l’air écorcheur ;
Un doux jardin s’éploie au fond de ma tourmente.

Horizon vert auquel m’invite un chemin d’or,
Où l’humeur est fleurie et la marche sans ronce…
M’attirant aux remous oisifs d’une eau qui dort,
Née au creux d’une ride où mon regard s’enfonce,

Une ombre familière ondule, je frémis ;
Me transperce glaçant de part en part un glaive.
Et j’entends ricaner des anges ennemis :
« Tu montais vers un songe et sombres par le rêve. »



DÉSINTOXICATION

Je sors, humanoïde éponge, d’un abîme
Où vaguent les cerveaux bleus d’illusoire éther,
En suant mon brouillard, et je vise la cime
Solaire, l’âme au seuil de sublimer l’amer.

Je vous tourne le dos nébuleuses descentes,
Dont ma peau ramollie expurge les effrois,
Au profit d’une mue où mes chairs renaissantes
Sont plus chaudes d’espoir que les discours des rois.

À l’étroit, mon amour universel réclame
D’embrasser tout l’espace ouvert aux chants du vent ;
Le verrou de mon corps éclate en un sésame
Élévateur, et je m’expulse triomphant !

Je m’arrache au néant ailé par la victoire
Sur l’ombre de moi-même et sur le sang obscur !
Que le ciel me dédie un angélus d’ivoire
Et bénisse mon vol vers l’éternel azur !


À propos de l'auteur

Julien Albessard

Misanthrope humaniste, atrabilaire joyeux, rêveur rationnel, insulaire sociable et enthousiaste résigné, comme tout le monde, je ne suis comme personne.

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