Avarice

A


Disséquons l’homme en tourmente,
À la dépense rétif,
Qui sans fin dans l’ombre augmente
Un trésor spéculatif.

Sa main rêche de squelette
Est un noueux artefact
N’éprouvant plus douce fête
Qu’être avec l’or en contact.

C’est la seule des matières
Qui lui réchauffe le cœur ;
Et les précieuses pierres
Parent son œil de vigueur.

Ne lui causez pas des charmes
D’un sous-bois semé d’œillets :
L’effet qui le porte aux larmes
Vient d’un bouquet de billets !

Et qu’importe la devise,
Rouble, dollar, yuan, franc,
Tant que la monnaie avise
À bien rembourrer son flanc.

Sous son manteau, maigre et moche,
Ce rapace individu
Couve et serre dans sa poche
Un porte-feuille dodu !

Son toit fuit et son corps grince ;
Tout chez lui suinte la mort,
Bien qu’il égale d’un prince
La santé du coffre-fort !

Il s’endort comme au palace
En sentant son matelas
Frissonner d’une liasse
Sous son corps en échalas.

Soumis au spectre du manque,
Il choisirait le coma
Plutôt que vider sa planque
Pour combler son estomac !

Rien ne fume en ses assiettes
Dont s’enivrent les gourmets ;
Dans son ventre, un jus, des miettes
Et des gargouillis sourds, mais

Sa bourse montre, pesante,
Des bourrelets de cochon…
L’important est qu’il se sente
Gras par procuration !

Contrefaire des ascètes
Les dehors du dénuement
L’aide à faire de piécettes
Des grand tas plus sûrement.

Taraudé par la hantise
Du plus convoiteux complot
De la canaille qu’attise
La brillance d’un gros lot,

C’est tapi dans sa chaumière,
Quand s’éteignent les regards,
Qu’il recompte à la lumière
D’un fumignon tous ses liards.

Il préserve sa fortune
Des cœurs prompts à la rogner,
Et rien plus ne l’importune
Que des prônes d’aumônier.

Lui, depuis son plus jeune âge,
Reçoit les mots de Jésus
D’altruisme et de partage
Comme des coups au plexus !

Jamais élan charitable
Ne l’entraîne à l’abandon
D’un seul grain ; la foi comptable
Lui fait maudire le don !

Tel engrangeur intégriste
Trouve en tout déshérité
Un rongeur opportuniste
Méritant sévérité.

Qu’à son passage quémande
Quelques sous un orphelin
Contre un air, et il demande :
« Quelle erreur, moineau vilain,

» Quelle faute as-tu commise
Pour te retrouver assis
Là, semant ta chanson grise
Dans l’espoir de pain rassis ? »

L’enfant, martyr d’une rue
À l’horizon toujours clos,
Se répand, tristesse en crue,
Comme un fleuve de sanglots :

« Père fit le sacrifice
De son sang dans les combats,
Et s’ouvrit mon précipice
Quand, rentrant pour le repas,

» Je trouvai Mère roidie…
Je n’eus plus que mon pipeau,
Alors que la maladie
Dévorait déjà ma peau ;

» Désormais je suis l’intime
Des poubelles et des rats,
Et mon corps tremble en victime
Des vents le plus scélérats… »

« Fi ! C’est juste que la gale
T’ait frappé dès le berceau !
Dans tes plaintes de cigale
Aux accents de vermisseau,

Je n’entends qu’un parasite,
Un insecte fainéant
Qui d’apitoiement profite
En geignant sur son séant !

Que ces larmes sur ta joue
Aient au moins l’utilité
D’émanciper de la boue
Ton visage mutilé ! »

Regarde-toi, méchant pingre,
Qui ne vis jamais le beau,
Rien, sinon ton corps malingre,
Ne t’accompagne au tombeau !

Quand t’absorbera la terre,
Le premier de ses regrets
Sera que ta carne austère
Fasse un misérable engrais !

Que diront de ton cadavre
Quand les vers le fouilleront ?
« Ce n’est que du nerf qui navre !
Ce mort ne vaut pas un rond ! »

Ta dépouille charognarde
Subira de noirs revers.
Que verra ton œil qui liarde ?
Un tunnel pour les enfers !…

Nul ne monte au ciel où s’offre
L’ange à l’innombrable amour
Avec une âme de coffre
Et des rêves de vautour !


À propos de l'auteur

Julien Albessard

Misanthrope humaniste, atrabilaire joyeux, rêveur rationnel, insulaire sociable et enthousiaste résigné, comme tout le monde, je ne suis comme personne.

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