à Monsieur Théodore de Banville
I
Ainsi, toujours, vers l’azur noir
Où tremble la mer des topazes,
Fonctionneront dans ton soir
Les Lys, ces clystères d’extases !
À notre époque de sagous,
Quand les Plantes sont travailleuses,
Le Lys boira les bleus dégoûts
Dans tes Proses religieuses !
— Le lys de monsieur de Kerdrel,
Le Sonnet de mil huit cent trente,
Le Lys qu’on donne au Ménestrel
Avec l’œillet et l’amarante !
Des lys ! Des lys ! On n’en voit pas !
Et dans ton Vers, tel que les manches
Des Pécheresses aux doux pas,
Toujours frissonnent ces fleurs blanches !
Toujours, Cher, quand tu prends un bain,
Ta Chemise aux aisselles blondes
Se gonfle aux brises du matin
Sur les myosotis immondes !
L’amour ne passe à tes octrois
Que les Lilas, – ô balançoires !
Et les Violettes du Bois,
Crachats sucrés des Nymphes noires !…
II
Ô Poètes, quand vous auriez
Les Roses, les Roses soufflées,
Rouges sur tiges de lauriers,
Et de mille octaves enflées !
Quand BANVILLE en ferait neiger,
Sanguinolentes, tournoyantes,
Pochant l’œil fou de l’étranger
Aux lectures mal bienveillantes !
De vos forêts et de vos prés,
Ô très paisibles photographes !
La Flore est diverse à peu près
Comme des bouchons de carafes !
Toujours les végétaux Français,
Hargneux, phtisiques, ridicules,
Où le ventre des chiens bassets
Navigue en paix, aux crépuscules ;
Toujours, après d’affreux desseins
De Lotos bleus ou d’Hélianthes,
Estampes roses, sujets saints
Pour de jeunes communiantes !
L’Ode Açoka cadre avec la
Strophe en fenêtre de lorette ;
Et de lourds papillons d’éclat
Fientent sur la Pâquerette.
Vieilles verdures, vieux galons !
Ô croquignoles végétales !
Fleurs fantasques des vieux Salons !
— Aux hannetons, pas aux crotales,
Ces poupards végétaux en pleurs
Que Grandville eût mis aux lisières,
Et qu’allaitèrent de couleurs
De méchants astres à visières !
Oui, vos bavures de pipeaux
Font de précieuses glucoses !
— Tas d’œufs frits dans de vieux chapeaux,
Lys, Açokas, Lilas et Roses !…
III
Ô blanc Chasseur, qui cours sans bas
À travers le Pâtis panique,
Ne peux-tu pas, ne dois-tu pas
Connaître un peu ta botanique ?
Tu ferais succéder, je crains,
Aux Grillons roux les Cantharides,
L’or des Rios au bleu des Rhins,
Bref, aux Norwèges les Florides :
Mais, Cher, l’Art n’est plus, maintenant,
— C’est la vérité, — de permettre
À l’Eucalyptus étonnant
Des constrictors d’un hexamètre ;
Là !… Comme si les Acajous
Ne servaient, même en nos Guyanes,
Qu’aux cascades des sapajous,
Au lourd délire des lianes !
— En somme, une Fleur, Romarin
Ou Lys, vive ou morte, vaut-elle
Un excrément d’oiseau marin ?
Vaut-elle un seul pleur de chandelle ?
— Et j’ai dit ce que je voulais !
Toi, même assis là-bas, dans une
Cabane de bambous, — volets
Clos, tentures de perse brune, —
Tu torcherais des floraisons
Dignes d’Oises extravagantes !…
— Poète ! ce sont des raisons
Non moins risibles qu’arrogantes !…
IV
Dis, non les pampas printaniers
Noirs d’épouvantables révoltes,
Mais les tabacs, les cotonniers !
Dis les exotiques récoltes !
Dis, front blanc que Phébus tanna,
De combien de dollars se rente
Pedro Velasquez, Habana ;
Incague la mer de Sorrente
Où vont les Cygnes par milliers ;
Que tes strophes soient des réclames
Pour l’abatis des mangliers
Fouillés des hydres et des lames !
Ton quatrain plonge aux bois sanglants
Et revient proposer aux Hommes
Divers sujets de sucres blancs,
De pectoraires et de gommes !
Sachons par Toi si les blondeurs
Des Pics neigeux, vers les Tropiques,
Sont ou des insectes pondeurs
Ou des lichens microscopiques !
Trouve, ô Chasseur, nous le voulons,
Quelques garances parfumées
Que la Nature en pantalons
Fasse éclore ! — pour nos Armées !
Trouve, aux abords du Bois qui dort,
Les fleurs, pareilles à des mufles,
D’où bavent des pommades d’or
Sur les cheveux sombres des Buffles !
Trouve, aux prés fous, où sur le Bleu
Tremble l’argent des pubescences,
Des calices pleins d’Oeufs de feu
Qui cuisent parmi les essences !
Trouve des Chardons cotonneux
Dont dix ânes aux yeux de braises
Travaillent à filer les nœuds !
Trouve des Fleurs qui soient des chaises !
Oui, trouve au cœur des noirs filons
Des fleurs presque pierres, — fameuses ! —
Qui vers leurs durs ovaires blonds
Aient des amygdales gemmeuses !
Sers-nous, ô Farceur, tu le peux,
Sur un plat de vermeil splendide
Des ragoûts de Lys sirupeux
Mordant nos cuillers Alfénide !
V
Quelqu’un dira le grand Amour,
Voleur des sombres Indulgences :
Mais ni Renan, ni le chat Murr
N’ont vu les Bleus Thyrses immenses !
Toi, fais jouer dans nos torpeurs,
Par les parfums les hystéries ;
Exalte-nous vers les candeurs
Plus candides que les Maries…
Commerçant ! colon ! médium !
Ta Rime sourdra, rose ou blanche,
Comme un rayon de sodium,
Comme un caoutchouc qui s’épanche !
De tes noirs Poèmes, — Jongleur !
Blancs, verts, et rouges dioptriques,
Que s’évadent d’étranges fleurs
Et des papillons électriques !
Voilà ! c’est le Siècle d’enfer !
Et les poteaux télégraphiques
Vont orner, — lyre aux chants de fer,
Tes omoplates magnifiques !
Surtout, rime une version
Sur le mal des pommes de terre !
— Et, pour la composition
De poèmes pleins de mystère
Qu’on doive lire de Tréguier
À Paramaribo, rachète
Des Tomes de Monsieur Figuier,
— Illustrés ! — chez Monsieur Hachette !
ALCIDE BAVA.
A. R.
14 juillet 1871