Le Syllaboratoire

Poésie & versification : pour une avant-garde traditionnelle contre la tradition avant-gardiste

Dernières publications

Clash d’un moderne antique

Ego trip en claquant la porte des forums littéraires. I De numériques ostracons Sont lapidés mes pseudonymes. Être hué par des chicons Et des prévôts pusillanimes Montre que l’air contemporain Donne du souffle aux médiocres ! Lorsque, unanimement serin, Piaille un peuple de piocres, Idoine est d’étouffer le droit De vote et la démocrassie, Tant dérisoire est ce que croit...

L’Idole (Auguste Barbier)

I Allons, chauffeur, allons, du charbon, de la houille,         Du fer, du cuivre et de l’étain ; Allons, à large pelle, à grand bras plonge et fouille,         Nourris le brasier, vieux Vulcain ; Donne force pâture à ta grande fournaise,         Car, pour mettre ses...

L’arbre pâle

Vois cet arbre défait, sa forme humiliée, Son tronc serré de nœuds, sa mine de pendu, Et comme sa racine est recroquevillée Où siège un mendiant par la froideur mordu. Il souffre l’ombre de la ville indifférente, Un dédain minéral néantisant l’été. Par foules, le réduit l’urbanité givrante À pâlir en totem de l’être déserté. S’éclipsent les regards et se vissent les...

Épître XI — À mon jardinier (Nicolas Boileau)

Laborieux valet du plus commode maître Qui pour te rendre heureux ici-bas pouvait naître, Antoine, gouverneur de mon jardin d’Auteuil, Qui diriges chez moi l’if et le chèvrefeuil, Et sur mes espaliers, industrieux génie, Sais si bien exercer l’art de La Quintinie ; Ô ! que de mon esprit triste et mal ordonné, Ainsi que de ce champ par toi si bien orné. Ne puis-je faire ôter les ronces, les...

Lecture mesurée du Dialogue de l’arbre de Paul Valéry

La première fois que le Dialogue de l’arbre se déploya sous mes yeux, alors que s’animaient les phrases par ma bouche, des ondulations cadentielles mirent mon âme en mouvement et mon oreille en joie. La prose d’apparence, dont la seule substance, sève solaire s’il en est, peut hisser le lecteur à l’émerveillement, chemine en maints endroits par groupes de greffons...

Le saut du tremplin (Théodore de Banville)

Clown admirable, en vérité ! Je crois que la postérité, Dont sans cesse l’horizon bouge, Le reverra, sa plaie au flanc. Il était barbouillé de blanc, De jaune, de vert et de rouge. Même jusqu’à Madagascar Son nom était parvenu, car C’était selon tous les principes Qu’après les cercles de papier, Sans jamais les estropier Il traversait le rond des pipes. De la pesanteur...

Canicule

L’âme se cherche un véhicule. Il n’y a plus d’art dans l’éther. Le ciel que peint la canicule Est un monochrome sans chair. Écran d’humeur vitrioleuse, L’horizon bout comme un alcool Vacant, sans vape fabuleuse Propice au poétique envol. Comment s’ailer d’ivres images Privé de l’inspiration Qu’épanouissent les nuages Toujours en...

Le Sauvage

Puisque je ne suis plus que la griffe d’un nerf, Bas ressort animal qu’un rien crispe à tout fendre ; Puisque je me hérisse aux ruses d’un mot tendre, Et qu’un soupçon de miel me change en fauve amer, Je vous épargnerai les grognes de mon flair, Que jamais n’ont floué les sucres du mensonge. Mon cœur a le dégoût d’ouïr l’ombre qui ronge, Et mon âme a le...

Mes vers fuiraient… (Victor Hugo)

Mes vers fuiraient, doux et frêles,
Vers votre jardin si beau,
Si mes vers avaient des ailes,
Des ailes comme l’oiseau.

Ils voleraient, étincelles,
Vers votre foyer qui rit,
Si mes vers avaient des ailes,
Des ailes comme l’esprit.

Près de vous, purs et fidèles,
Ils accourraient nuit et jour,
Si mes vers avaient des ailes,
Des ailes comme l’amour.

Victor Hugo, Les Contemplations, 1856.

Angoisse (Stéphane Mallarmé)

Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête En qui vont les péchés d’un peuple, ni creuser Dans tes cheveux impurs une triste tempête Sous l’incurable ennui que verse mon baiser : Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes Planant sous les rideaux inconnus du remords, Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges, Toi qui sur le néant en sais plus que les morts : Car le Vice...

Gourmandise

Fort d’une faim inhumaine, Écœurant même les dieux, Et d’un énorme domaine, Plus qu’un éden, giboyeux, Un ogre aux mille fourchettes Invitait dans son palais D’effrénés valseurs d’assiettes À de gloutonneux ballets. Signe noir de ces soirées Orgiaques, maints fourneaux Engorgeaient d’humeurs poivrées Et de charbons infernaux Une cheminée altière Recrachant sur...

Je vous donne des œufs (Pierre de Ronsard)

Je vous donne des oeufs. L’oeuf en sa forme ronde Semble au Ciel, qui peut tout en ses bras enfermer, Le feu, l’air et la terre, et l’humeur de la mer, Et sans estre comprins comprend tout en ce monde. La taye semble à l’air, et la glère féconde Semble à la mer qui fait toutes choses germer : L’aubin ressemble au feu qui peut tout animer, La coque en pesanteur comme la terre abonde, Et le ciel et...

Avarice

Disséquons l’homme en tourmente, À la dépense rétif, Qui sans fin dans l’ombre augmente Un trésor spéculatif. Sa main rêche de squelette Est un noueux artefact N’éprouvant plus douce fête Qu’être avec l’or en contact. C’est la seule des matières Qui lui réchauffe le cœur ; Et les précieuses pierres Parent son œil de vigueur. Ne lui causez pas des charmes...

Icare est chut ici… (Philippe Desportes)

Icare est chut ici, le jeune audacieux, Qui pour voler au Ciel eut assez de courage : Ici tomba son corps dégarni de plumage, Laissant tous braves cœurs de sa chute envieux. Ô bienheureux travail d’un esprit glorieux Qui tire un si grand gain d’un si petit dommage ! Ô bienheureux malheur plein de tant d’avantage, Qu’il rende le vaincu des ans victorieux ! Un chemin si...

Dimanches d’hiver

Ah ! Qu’ils sont mornes et redoutés ces dimanches Où mon angoisse fait son nid, Et couve cramponnée aux deux noueuses branches Que sont la tristesse et l’ennui. Les frimas ont réduit en mortes silhouettes Le chêne, l’orme et le sureau Qui, lugubrement nus, exhibent leurs squelettes Glorifiant l’hiver bourreau. À mon œil que pénètre un ton de sépulture, Où qu’il se...

Triptyque Thérapeutique

EMPOISONNEMENT Qu’on me dote d’un cœur que nul abus imprime Pour combattre le dard planté par l’ombre en mon Trésor de chair ; frustrer la pointe du démon, Comme un vil clou se heurte au diamant sublime. Dénué d’un éclat conjurateur, je bois Sans remords à me rendre, absent du moindre spasme, Plus lisse, plus égal, plus effacé qu’un phasme N’ayant plus...

Jacques Roubaud, roublard ou Rimbaud ?

That is the question… En ce début de XXIe siècle, qu’il sonde au hasard les étals des libraires, s’en remette à la boussole des connaisseurs ou surfe dans le sillon d’un navigateur internet, l’explorateur féru de poésie, curieux d’en découvrir les figures de proue contemporaines, fera inévitablement la rencontre de Jacques Roubaud — dont on déclare...

Période électorale (François Coppée)

On va voter. Paisible assembleur d’hémistiches, Je reste froid. Mais j’ai l’horreur de ces affiches Aux tons crus et de leurs grotesques boniments. Malgré moi, je les lis sur tous les monuments ; Je compare, écœuré de patois inutile, La colle du papier et la glaire du style ; J’y prends même, à la longue, un intérêt réel, ― C’est absurde, ― et veux voir, devant cet arc-en-ciel D’imprimés dont...

Profession de foi (Gérard de Nerval & Théophile Gautier)

J’aimerais mieux, je crois, manger de la morue, Du karis à l’indienne, ou de la viande crue, Et le tout chez Martin, place du Châtelet, D’où je sors ; j’aimerais mieux, même, s’il fallait, Travailler à cent sous la colonne au Corsaire, Ou bien au Figaro, comme un clerc de notaire ; Ou bien dans la Revue, à raison de cent francs La feuille in-octavo, petit romain, sur grand Papier, — ou dans la...

Les scarabées fatals

Gros insectes fusant sur vos moignons de gomme Râpeuse, vous chargez de flots infectieux La rue où votre essaim déflagrateur va comme Un cancer dans la veine où rogne un sang pouilleux. Toussoteux charançons, votre embolie assomme La ville dont le cœur de grouillements houilleux Résonne et s’enténèbre, alors qu’au loin la somme De vos exhalaisons va nécrosant les cieux...

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