Alexandrins

Vers Dorés (Gérard de Nerval)

Eh ! quoi ? Tout est sensiblePYTHAGORE Homme ! libre penseur — te crois-tu seul pensant Dans ce monde, où la vie éclate en toute chose ? Des forces que tu tiens ta liberté dispose, Mais de tous tes conseils l’univers est absent. Respecte dans la bête un esprit agissant… Chaque fleur est une âme à la Nature éclose ; Un mystère d’amour dans le métal repose : Tout est sensible ! —...

Révélation

J’avais chu dans l’encens des fausses aphrodites ; Et toi, bu tout le vin des apollons trompeurs. N’ayant reçu du ciel que des amours maudites, Chacun n’habitait plus qu’un temple de torpeurs. Ton cœur était figé comme un œillet dans l’ambre ; La porte de ton nid, fermée à double tour. Pour toi, nature en gel, c’était toujours décembre, Mois...

Toussez printemps ! (poison d’avril)

Paris comme en apnée, éteint ; cité lumière Vidée en plein soleil par un éternuement Grippant d’un bout à l’autre un monde fourmilière Que sa fièvre a conduit au moindre mouvement. Il flotte dans la rue un air de cimetière ; L’envahisseur fantôme attend qu’en le humant Un corps hospitalier lui serve de chaumière Où faire ses petits jusqu’à l’étouffement...

Les bourdons maudits

Emplissant d’épineux nectar notre citrouille, Nous bouillons d’y mûrir l’alcool des grands esprits ; Mais troubles butineurs au flair prisant la drouille, Nous avons bu pour lys de vieux chardons aigris. Alambic corrompu, notre âme se barbouille Et croit faire un vin d’or avec des sucres gris. Chauds d’un magma qui sent la fièvre de gargouille, Nos crânes étuvés...

Renouveau (Stéphane Mallarmé)

Le printemps maladif a chassé tristement L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide, Et dans mon être à qui le sang morne préside L’impuissance s’étire en un long bâillement. Des crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne Qu’un cercle de fer serre ainsi qu’un vieux tombeau Et, triste, j’erre après un rêve vague et beau, Par les champs où la sève immense se pavane Puis je tombe énervé de...

Impuissance

Un gazouillis d’enfant (moins homme que mésange), Voix d’un âge où l’on a le sérieux d’un ange, Désembua mon œil des ombres du vieux parc. Je vis, suivant le vol de flèches oniriques, Un vaillant chérubin, muni d’un semblant d’arc, Miner l’essaim nombreux des âmes horrifiques. Va ! justicier léger, profite du poitrail Qu’un souffle pur encore...

L’infidèle

À un « ami » « catholique » Dévot de la débauche aux saintes attitudes, D’avoir pris en ton miel impur mille âmes prudes, Jouis en tapinois. Quand chute une colombe en tes gluantes ruses, Il n’y a guère que les cieux que tu n’abuses… Ô lubrique sournois ! Tu révères la croix qui domine le Tibre, Coupable de confondre avec ton morne chibre La crucifixion. Pieux devant...

Arachnophilie

Lilith ! fais mon bonheur, hais-moi d’un cœur cinglant ! Mais ne m’inflige point ta vierge indifférence. Abats sur moi le fouet du vœu le plus sanglant : Que ta faim soit ma fin, et ta fièvre ma transe ! Je n’ai de pulsion maîtresse qu’assouvir Ta volonté de me soumettre dans la soie À l’instinct venimeux conçu pour me ravir ! Plaise au feu dévorant...

La fin des hostilités

Tout est calme à présent. Le Mal n’a plus de feu. Le cœur dort sans remous ; l’œil fixe une eau profonde ; L’âme libre, déjà colombe, vagabonde Et remet son destin au pur infini bleu. Soulagé que ton poids s’efface en douceur d’aile Et que l’ombre se taise après d’affreux crachats, Ô Chair, dont la chaleur fuyante ouvre aux rachats, Je songe aux seuls...

Les petites vieilles (Charles Baudelaire)

À Victor Hugo I Dans les plis sinueux des vieilles capitales, Où tout, même l’horreur, tourne aux enchantements, Je guette, obéissant à mes humeurs fatales Des êtres singuliers, décrépits et charmants. Ces monstres disloqués furent jadis des femmes, Éponine ou Laïs ! Monstres brisés, bossus Ou tordus, aimons-les ! ce sont encor des âmes. Sous des jupons troués et sous de froids tissus Ils...

Insomnie paranoïde

Les soirs où l’opium d’Hypnos, mol assassin, Peint m’enfouir dans la ténèbre sarcophage, L’instinct, phare perçant les sables d’un naufrage, M’intime d’avoir l’Ombre à l’œil jusqu’à sa fin. Le noir profond m’attire au dissolvant suaire. Je le sens désireux de fondre mes tissus ; Et je crains, m’évidant comme un pochoir...

Fuite en avant

On voit dans la nuit noire un groupe de flambeaux Poursuivre le Destin ; quelque attelage d’âmes Que presse d’éloigner l’aurore de leurs flammes Du crépuscule des tombeaux. Tenus de vaincre l’Heure, ils traquent la seconde, Et nul épuisement fossile n’y suffit : Ils brûlent en un tour d’horloge ce que fit En millions de jours le Monde ! Pourquoi ? Parce...

Adieu l’Essence !

I Sous ma peau tambourine un furieux printemps Dont la sève écarlate émaille le paraître (Doit-on vivre en disgrâce avant d’avoir vingt ans ?) Et presse sans répit le Moi mûri de naître. Ma chair souffre à l’essor d’une profusion De sons trop colorés et de parfums de ruscles ; Ma faune intérieure en révolution Irrite chaque nerf et m’empourpre les muscles ! Au moindre...

Épilogue (Paul Verlaine)

I Le soleil, moins ardent, luit clair au ciel moins dense. Balancés par un vent automnal et berceur, Les rosiers du jardin s’inclinent en cadence. L’atmosphère ambiante a des baisers de sœur La Nature a quitté pour cette fois son trône De splendeur, d’ironie et de sérénité : Clémente, elle descend, par l’ampleur de l’air jaune, Vers l’homme, son sujet pervers et révolté. Du pan de son...

Oyez ! Rimailleurs !

I À croire que cet art s’exerce à coups de dés Quand usurpent son nom des rimailleurs et des Prophètes du dimanche enorgueillis d’écrire Des vers qu’eux-mêmes, comble ! ils peinent à relire ! Agitent-ils leur crâne ainsi qu’un gobelet, Toujours avec l’espoir qu’au fond du cervelet Sorte un bon numéro du mou d’incohérence ?… Quand manque le...

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