Adieu l’Essence !

A


I

Sous ma peau tambourine un furieux printemps
Dont la sève écarlate émaille le paraître
(Doit-on vivre en disgrâce avant d’avoir vingt ans ?)
Et presse sans répit le Moi mûri de naître.

Ma chair souffre à l’essor d’une profusion
De sons trop colorés et de parfums de ruscles ;
Ma faune intérieure en révolution
Irrite chaque nerf et m’empourpre les muscles !

Au moindre affleurement de roses excité,
Pantelant, je rougis face au charme nubile,
Ajoutant le complexe à la complexité
De voir s’évanouir son nimbe juvénile.

Me brûle l’élixir de l’ivre puberté
Qui verse, outre le feu d’une indomptable envie,
Un sentiment mêlé d’angoisse et de fierté :
Quel pouvoir effrayant… Je peux donner la Vie !

II

De pernicieux sphinx interrogent mon corps
Et m’introduisent à l’énigme de sa perte :
« Où vont les souvenirs quand les esprits sont morts ?
Une âme répond-elle à la mémoire inerte ? »

Ma conscience s’ouvre au nombre Infinité
Dont le terme inconnu module la Nature :
« Tout n’est-il qu’un produit de la même Unité ?
Rien n’est-il souverain soustrait à la Structure ? »

Dans le champ nébuleux où flotte mon destin
Je recherche comment survivre à l’existence :
« Dois-je suivre un sillon ? Dois-je écouter l’instinct ?
Quel chemin parcourir pour tenir la distance ? »

Tout m’exhorte à porter un mythe triomphant,
Sans rompre, comme Hercule à l’énorme ossature ;
Mais pendant que forcit mon squelette d’enfant
Mon cœur reste le fruit de l’écorce immature !

III

Moi qui toujours pouvais jouer à l’arlequin,
Jubilant de ne pas avoir de vrai visage,
On me dit qu’à présent je dois être quelqu’un !
Que je dois être adulte à défaut d’être sage !

Que je dois renoncer, sans plainte ni regret,
Au rire sans raison du jeu sans conséquence,
Car l’homme qu’un enfant guide encore en secret,
S’il en a le regard, en pleure l’apparence !

Ô miroir j’ai franchi l’irréversible seuil !
Mes traits de kaolin ont durci dans tes glaces !
J’ai perdu la douceur de vivre sans orgueil,
Et je vois l’avenir me faire des grimaces !

La montagne d’exploits hantant mes lendemains
N’est qu’un pic tourmenté par un tourbillon blême ;
Sa neige attend mes pas et je prie à deux mains
D’arriver au sommet en vainqueur de moi-même…

À propos de l'auteur

Julien Albessard

Misanthrope humaniste, atrabilaire joyeux, rêveur rationnel, insulaire sociable et enthousiaste résigné, comme tout le monde, je ne suis comme personne.

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