Sonnet

L’arbre pâle

Vois cet arbre défait, sa forme humiliée, Son tronc serré de nœuds, sa mine de pendu, Et comme sa racine est recroquevillée Où siège un mendiant par la froideur mordu. Il souffre l’ombre de la ville indifférente, Un dédain minéral néantisant l’été. Par foules, le réduit l’urbanité givrante À pâlir en totem de l’être déserté. S’éclipsent les regards et se vissent les...

Le Sauvage

Puisque je ne suis plus que la griffe d’un nerf, Bas ressort animal qu’un rien crispe à tout fendre ; Puisque je me hérisse aux ruses d’un mot tendre, Et qu’un soupçon de miel me change en fauve amer, Je vous épargnerai les grognes de mon flair, Que jamais n’ont floué les sucres du mensonge. Mon cœur a le dégoût d’ouïr l’ombre qui ronge, Et mon âme a le...

Angoisse (Stéphane Mallarmé)

Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête En qui vont les péchés d’un peuple, ni creuser Dans tes cheveux impurs une triste tempête Sous l’incurable ennui que verse mon baiser : Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes Planant sous les rideaux inconnus du remords, Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges, Toi qui sur le néant en sais plus que les morts : Car le Vice...

Je vous donne des œufs (Pierre de Ronsard)

Je vous donne des oeufs. L’oeuf en sa forme ronde Semble au Ciel, qui peut tout en ses bras enfermer, Le feu, l’air et la terre, et l’humeur de la mer, Et sans estre comprins comprend tout en ce monde. La taye semble à l’air, et la glère féconde Semble à la mer qui fait toutes choses germer : L’aubin ressemble au feu qui peut tout animer, La coque en pesanteur comme la terre abonde, Et le ciel et...

Icare est chut ici… (Philippe Desportes)

Icare est chut ici, le jeune audacieux, Qui pour voler au Ciel eut assez de courage : Ici tomba son corps dégarni de plumage, Laissant tous braves cœurs de sa chute envieux. Ô bienheureux travail d’un esprit glorieux Qui tire un si grand gain d’un si petit dommage ! Ô bienheureux malheur plein de tant d’avantage, Qu’il rende le vaincu des ans victorieux ! Un chemin si...

Triptyque Thérapeutique

EMPOISONNEMENT Qu’on me dote d’un cœur que nul abus imprime Pour combattre le dard planté par l’ombre en mon Trésor de chair ; frustrer la pointe du démon, Comme un vil clou se heurte au diamant sublime. Dénué d’un éclat conjurateur, je bois Sans remords à me rendre, absent du moindre spasme, Plus lisse, plus égal, plus effacé qu’un phasme N’ayant plus...

Les scarabées fatals

Gros insectes fusant sur vos moignons de gomme Râpeuse, vous chargez de flots infectieux La rue où votre essaim déflagrateur va comme Un cancer dans la veine où rogne un sang pouilleux. Toussoteux charançons, votre embolie assomme La ville dont le cœur de grouillements houilleux Résonne et s’enténèbre, alors qu’au loin la somme De vos exhalaisons va nécrosant les cieux...

Œuvres marines

Mer ineffable, hydre à l’humeur toujours mouvante, Combien de galions ton ire fit radeaux ? Combien d’espoirs marins privés d’eldorados Par une écume encline aux rages d’épouvante ? Cruelle, brises-tu les bercements à dos De vagues étirant ton échine séante Par l’orageux retour d’une gueule béante À seule fin d’offrande aux appétits hadaux ? N’es-tu...

Vers Dorés (Gérard de Nerval)

Eh ! quoi ? Tout est sensiblePYTHAGORE Homme ! libre penseur — te crois-tu seul pensant Dans ce monde, où la vie éclate en toute chose ? Des forces que tu tiens ta liberté dispose, Mais de tous tes conseils l’univers est absent. Respecte dans la bête un esprit agissant… Chaque fleur est une âme à la Nature éclose ; Un mystère d’amour dans le métal repose : Tout est sensible ! —...

Le Cactus

Ton épiderme antipathique, Cactus de pointes recouvert, À la chair tendre ayant souffert Semble un écrin prophylactique. Ton être oasis, au cœur plein D’un sang laiteux, montre peau dure Pour éloigner de sa verdure Les vampirismes du vilain. Et l’écorché que la soif ride, Jouet d’un ciel cruel, aride, Ne peignant d’ombre que vautour, Trouve en semblable solitaire...

Toussez printemps ! (poison d’avril)

Paris comme en apnée, éteint ; cité lumière Vidée en plein soleil par un éternuement Grippant d’un bout à l’autre un monde fourmilière Que sa fièvre a conduit au moindre mouvement. Il flotte dans la rue un air de cimetière ; L’envahisseur fantôme attend qu’en le humant Un corps hospitalier lui serve de chaumière Où faire ses petits jusqu’à l’étouffement...

Les bourdons maudits

Emplissant d’épineux nectar notre citrouille, Nous bouillons d’y mûrir l’alcool des grands esprits ; Mais troubles butineurs au flair prisant la drouille, Nous avons bu pour lys de vieux chardons aigris. Alambic corrompu, notre âme se barbouille Et croit faire un vin d’or avec des sucres gris. Chauds d’un magma qui sent la fièvre de gargouille, Nos crânes étuvés...

Renouveau (Stéphane Mallarmé)

Le printemps maladif a chassé tristement L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide, Et dans mon être à qui le sang morne préside L’impuissance s’étire en un long bâillement. Des crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne Qu’un cercle de fer serre ainsi qu’un vieux tombeau Et, triste, j’erre après un rêve vague et beau, Par les champs où la sève immense se pavane Puis je tombe énervé de...

Impuissance

Un gazouillis d’enfant (moins homme que mésange), Voix d’un âge où l’on a le sérieux d’un ange, Désembua mon œil des ombres du vieux parc. Je vis, suivant le vol de flèches oniriques, Un vaillant chérubin, muni d’un semblant d’arc, Miner l’essaim nombreux des âmes horrifiques. Va ! justicier léger, profite du poitrail Qu’un souffle pur encore...

Insomnie paranoïde

Les soirs où l’opium d’Hypnos, mol assassin, Peint m’enfouir dans la ténèbre sarcophage, L’instinct, phare perçant les sables d’un naufrage, M’intime d’avoir l’Ombre à l’œil jusqu’à sa fin. Le noir profond m’attire au dissolvant suaire. Je le sens désireux de fondre mes tissus ; Et je crains, m’évidant comme un pochoir...

Vénus Malouine

Guide, déesse d’émeraude, Quand me déborde le brouillard Et que l’incertitude rôde, Mon cœur perdu d’un seul regard. Berce-moi d’ondes délicates ; Laisse les vagues de ta voix Rêveuse enivrer les eaux plates De solitude que je bois. Dissipe et coule ma détresse ! Il suffira d’une caresse Pour me conduire au grand frisson Du naufragé ceint de nuages À qui se rouvre un...

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