Alexandrins

L’Idole (Auguste Barbier)

I Allons, chauffeur, allons, du charbon, de la houille,         Du fer, du cuivre et de l’étain ; Allons, à large pelle, à grand bras plonge et fouille,         Nourris le brasier, vieux Vulcain ; Donne force pâture à ta grande fournaise,         Car, pour mettre ses...

L’arbre pâle

Vois cet arbre défait, sa forme humiliée, Son tronc serré de nœuds, sa mine de pendu, Et comme sa racine est recroquevillée Où siège un mendiant par la froideur mordu. Il souffre l’ombre de la ville indifférente, Un dédain minéral néantisant l’été. Par foules, le réduit l’urbanité givrante À pâlir en totem de l’être déserté. S’éclipsent les regards et se vissent les...

Épître XI — À mon jardinier (Nicolas Boileau)

Laborieux valet du plus commode maître Qui pour te rendre heureux ici-bas pouvait naître, Antoine, gouverneur de mon jardin d’Auteuil, Qui diriges chez moi l’if et le chèvrefeuil, Et sur mes espaliers, industrieux génie, Sais si bien exercer l’art de La Quintinie ; Ô ! que de mon esprit triste et mal ordonné, Ainsi que de ce champ par toi si bien orné. Ne puis-je faire ôter les ronces, les...

Le Sauvage

Puisque je ne suis plus que la griffe d’un nerf, Bas ressort animal qu’un rien crispe à tout fendre ; Puisque je me hérisse aux ruses d’un mot tendre, Et qu’un soupçon de miel me change en fauve amer, Je vous épargnerai les grognes de mon flair, Que jamais n’ont floué les sucres du mensonge. Mon cœur a le dégoût d’ouïr l’ombre qui ronge, Et mon âme a le...

Angoisse (Stéphane Mallarmé)

Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête En qui vont les péchés d’un peuple, ni creuser Dans tes cheveux impurs une triste tempête Sous l’incurable ennui que verse mon baiser : Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes Planant sous les rideaux inconnus du remords, Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges, Toi qui sur le néant en sais plus que les morts : Car le Vice...

Je vous donne des œufs (Pierre de Ronsard)

Je vous donne des oeufs. L’oeuf en sa forme ronde Semble au Ciel, qui peut tout en ses bras enfermer, Le feu, l’air et la terre, et l’humeur de la mer, Et sans estre comprins comprend tout en ce monde. La taye semble à l’air, et la glère féconde Semble à la mer qui fait toutes choses germer : L’aubin ressemble au feu qui peut tout animer, La coque en pesanteur comme la terre abonde, Et le ciel et...

Icare est chut ici… (Philippe Desportes)

Icare est chut ici, le jeune audacieux, Qui pour voler au Ciel eut assez de courage : Ici tomba son corps dégarni de plumage, Laissant tous braves cœurs de sa chute envieux. Ô bienheureux travail d’un esprit glorieux Qui tire un si grand gain d’un si petit dommage ! Ô bienheureux malheur plein de tant d’avantage, Qu’il rende le vaincu des ans victorieux ! Un chemin si...

Dimanches d’hiver

Ah ! Qu’ils sont mornes et redoutés ces dimanches Où mon angoisse fait son nid, Et couve cramponnée aux deux noueuses branches Que sont la tristesse et l’ennui. Les frimas ont réduit en mortes silhouettes Le chêne, l’orme et le sureau Qui, lugubrement nus, exhibent leurs squelettes Glorifiant l’hiver bourreau. À mon œil que pénètre un ton de sépulture, Où qu’il se...

Triptyque Thérapeutique

EMPOISONNEMENT Qu’on me dote d’un cœur que nul abus imprime Pour combattre le dard planté par l’ombre en mon Trésor de chair ; frustrer la pointe du démon, Comme un vil clou se heurte au diamant sublime. Dénué d’un éclat conjurateur, je bois Sans remords à me rendre, absent du moindre spasme, Plus lisse, plus égal, plus effacé qu’un phasme N’ayant plus...

Jacques Roubaud, roublard ou Rimbaud ?

That is the question… En ce début de XXIe siècle, qu’il sonde au hasard les étals des libraires, s’en remette à la boussole des connaisseurs ou surfe dans le sillon d’un navigateur internet, l’explorateur féru de poésie, curieux d’en découvrir les figures de proue contemporaines, fera inévitablement la rencontre de Jacques Roubaud — dont on déclare...

Période électorale (François Coppée)

On va voter. Paisible assembleur d’hémistiches, Je reste froid. Mais j’ai l’horreur de ces affiches Aux tons crus et de leurs grotesques boniments. Malgré moi, je les lis sur tous les monuments ; Je compare, écœuré de patois inutile, La colle du papier et la glaire du style ; J’y prends même, à la longue, un intérêt réel, ― C’est absurde, ― et veux voir, devant cet arc-en-ciel D’imprimés dont...

Profession de foi (Gérard de Nerval & Théophile Gautier)

J’aimerais mieux, je crois, manger de la morue, Du karis à l’indienne, ou de la viande crue, Et le tout chez Martin, place du Châtelet, D’où je sors ; j’aimerais mieux, même, s’il fallait, Travailler à cent sous la colonne au Corsaire, Ou bien au Figaro, comme un clerc de notaire ; Ou bien dans la Revue, à raison de cent francs La feuille in-octavo, petit romain, sur grand Papier, — ou dans la...

Les scarabées fatals

Gros insectes fusant sur vos moignons de gomme Râpeuse, vous chargez de flots infectieux La rue où votre essaim déflagrateur va comme Un cancer dans la veine où rogne un sang pouilleux. Toussoteux charançons, votre embolie assomme La ville dont le cœur de grouillements houilleux Résonne et s’enténèbre, alors qu’au loin la somme De vos exhalaisons va nécrosant les cieux...

Le Gourdin et le Fleuret

Voici que le gourdin primitif et grossier Invite le fleuret à quelques passes d’armes, Trop fruste pour saisir que ce profil princier N’est en rien comparable à sa lourdeur sans charmes. L’adversaire n’étant qu’un drôle roturier Assuré qu’une bûche assomme d’éloquence ; Qui, montrant tout d’un nœud de lignage ordurier, Ignore de son bois la...

Le Flétrisseur

Je fus charnellement doué d’un feu maudit ; Je suis l’Élu brillant d’une lumière noire. Chaque fois que j’éclaire une fleur elle dit : « Comment s’épanouir sous ton amère moire ? » Le grand Lys me dédaigne et la Rose me fuit, Et jamais je ne peux à leurs calices boire Ce philtre qui serait un remède à la nuit Que diffuse à regret ma chair expiatoire. Je ne suis...

À l’évêque qui m’appelle athée (Victor Hugo)

IX Athée ? entendons-nous, prêtre, une fois pour toutes. M’espionner, guetter mon âme, être aux écoutes, Regarder par le trou de la serrure au fond De mon esprit, chercher jusqu’où mes doutes vont, Questionner l’enfer, consulter son registre De police, à travers son soupirail sinistre, Pour voir ce que je nie ou bien ce que je croi, Ne prends pas cette peine inutile. Ma foi Est simple, et je...

Je suis debout !

Si l’espèce, fuyant la vastité troublante, Au courage hérité d’une taupe tremblante, Va s’enterrer dans le tabou Pour aveugle échapper au gouffre de l’espace, Je fixe l’infini… Je suis debout ! Si le frisson fatal s’abat, tel un rapace, Lorsqu’en juge nuiteux, me dénudant me glace Le sage œil rouge du hibou Rappelant que la chair est promise aux...

Le serpent et la lime (Jean de La Fontaine)

On conte qu’un serpent, voisin d’un horloger (C’était pour l’horloger un mauvais voisinage), Entra dans sa boutique, et, cherchant à manger, N’y rencontra pour tout potage Qu’une lime d’acier, qu’il se mit à ronger. Cette lime lui dit, sans se mettre en colère : « Pauvre ignorant ! et que prétends-tu faire ? Tu te prends à plus dur que toi. Petit...

Œuvres marines

Mer ineffable, hydre à l’humeur toujours mouvante, Combien de galions ton ire fit radeaux ? Combien d’espoirs marins privés d’eldorados Par une écume encline aux rages d’épouvante ? Cruelle, brises-tu les bercements à dos De vagues étirant ton échine séante Par l’orageux retour d’une gueule béante À seule fin d’offrande aux appétits hadaux ? N’es-tu...

De la moralité des volcans

La nuit frémit, les cœurs sont secoués : un gouffre Commence d’agiter ses graves profondeurs, Et des fronts cotonneux adeptes de tiédeurs Va fondre le confort la bouche où bout le soufre. La pensée impuissante y voit l’art de l’Enfer ! Ni les fièvres du feu, ni les ardeurs du fer, Quoiqu’elles peignent un martyre, N’attisent contre nous de monstrueux griefs, Ni ne...

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